lundi 26 juin 2017

Patrice Guinard, Les prophéties de Couillard pendant de celles de Nostradamus?

CORPUS NOSTRADAMUS 49 -- par Patrice Guinard
 
Les Prophéties d'Antoine Couillard (1556) : Une parodie des Prophéties de Nostradamus
 
Un an exactement après la parution des Prophéties est imprimée à Paris une parodie burlesque et grivoise de son style alambiqué, qui reprend le titre de l'ouvrage de Nostradamus et sa division en quatre parties, correspondant aux quatre premières centuries. Le pastiche, qui paraphrase et triture une partie considérable de la Préface à César (cf. CURA, CORPUS NOSTRADAMUS 33 & 34), et dont au moins trois éditions ont été imprimées, est la première attestation de la parution des Prophéties en 1555.
 
 
Les Propheties du Seigneur du Pavillon lez Lorriz
 
 
auteur : Antoine Couillard
ville d'édition : Paris
éditeur : Jean Dallier
année : 1556
in-8, 31 ff.
> CAT La Vallière, 1788, n.6616
> CAT Cigongne, 1861, n.299
> Buget, 1861, p.93
> Brunet 2, 1861, c.334
> Barbier 3, 1875, c.1086
> Benazra, 1990, p.19

° BM London: 12315.aaa.22
° Mazarine Paris: 8° 30328-8
 
 
auteur : Antoine Couillard
ville d'édition : Paris
éditeur : Antoine Le Clerc
année : 1556
in-8, 31 ff.
> Du Verdier, 1585, p.61
> Bareste, 1840, p.207
> Brunet 2, 1861, c.334
> Delpy 1, 1906, n.474 (titre : "Les Prophètes" !)
> Millet, 1987, p.105
> Benazra, 1990, p.18
° BnF Paris: Rés. p.R.40
° Arsenal Paris: 8 S 14331
 
Couillard, Propheties, Dallier, 1556

 
auteur : Antoine Couillard
ville d'édition : Rouen
éditeur : Bonaventure Belis
année : 1556
in-12
> La Croix du Maine, 1584, p.14
> CAT Larchevesque, Rouen, 1749, n.1650
> Michaud 10, 1813, p.89
> Brunet 2, 1861, c.334
> Delpy 1, 1906, n.474 (titre : "Les Prophètes" !)
> Benazra, 1990, p.19
 
Aucune des éditions de cet ouvrage n'est recensée par Chomarat dans sa bibliographie de 1989 -- lacune d'autant plus étonnante que pour Les Contredicts de Couillard, il catalogue les travaux de Buget qui mentionne les deux ouvrages de Couillard sur une même page. L'édition rouennaise introuvable, dont l'existence a pu être mise en doute, est confirmée par un catalogue de vente rouennais de 1749.

  Composition des éditions parisiennes :
f.A1r : titre
f.A1v : privilège
ff.A2r-v : avant-propos (l'imprimeur au lecteur)
ff.A3r-C1r : première partie
ff.C1v-D4r : deuxième partie
ff.D4r-E4v : troisième partie
ff.F1r-G2r : quatrième partie
ff.G2v-H1v : épître de l'auteur
ff.H2r-v : propos aux lecteurs (de l'imprimeur?)
f.H3r : "Vray regime de santé"
f.H3v : vignette de Jean Dallier
 
 
Couillard, Propheties, Le Clerc, 1556, f.H3v
Les deux éditions parisiennes auraient été imprimées par Jean Dallier, comme le suggère son estampille figurant au verso du dernier feuillet de l'édition Le Clerc. Le privilège, signé Aubery et adressé à "Monsieur le Prévost de Paris, ou son Lieutenant Civil", est daté du 4 mai 1556, soit exactement un an jour pour jour après l'achevé d'imprimer de l'édition Bonhomme des Prophéties de Nostradamus. Il est accordé conjointement aux libraires Jehan Dallier et Anthoine Le Clerc. Le texte est daté, à la fin de la quatrième partie, du 4 janvier 1555 (ancien style, id est : 1556), et du jour suivant à la fin du prologue en forme d'épître (éd. Le Clerc, f.H1v).
Dans un avertissement de l'imprimeur au lecteur, probablement écrit par l'auteur, il est déclaré que le dit auteur "dirige [ses propos] comme il est à presuposer à quelque nouveau prophete, que tu entendras assez par ce discours. Combien qu'il ne l'ayt voulu nommer. (...) il a desiré en respondant par grande vehemence aux nouvelles propheties, louer le grand sçavoir du prophete, & seulement detester la vanité. Doncque ceux qui ne cognoissent le follastre, le tiendront, comme à la verité il est, homme sçavant en plusieurs langues ..." (f.A2r).
Le ton est donné, mi-figue, mi-raisin, et l'auteur ne méprise pas le savoir présupposé du "prophète". Il n'y a ni hargne, ni injures outrancières dans ce premier pamphlet écrit en avertissement aux Prophéties de Nostradamus, contrairement à ceux qui paraîtront vers 1558. Couillard, éberlué par le style du provençal, se propose simplement d'en présenter un pastiche.
Nostradamus écrit dans la première préface à ses Prophéties : "le tout estre predict par afflation de divinité, & par le moyen de l'esprit angelique inspiré à l'homme prophetisant, rendant oinctes de vaticinations, le venant à illuminer, luy esmouvant le devant de la phantasie par diverses nocturnes aparitions, que par diurne certitude prophetise par administration astronomicque, conjoincte de la sanctissime future prediction" (Préface à César, 37). Réplique de Couillard, qui s'amuse avec son modèle : "la sanctissime action des vaticinations, esquelles noz maistres dient que l'esprit angelicque vient à illuminer & esmouvoir le devant de la fantaisie de l'homme par diverses & nocturnes apparitions" (f.E3v).
Ce passage n'est pas signalé par Benazra (qui prétend pourtant donner "la totalité de ces passages empruntés à la Lettre" dans son article "Les premiers garants de la publication des Centuries de Nostradamus ou la Lettre à César reconstituée", paru au Ramkat (Espace Nostradamus) et au CURA (Nostradamica) en 2003), non plus que quelques autres. En voici un relevé quasi exhaustif :
 
 
Nostradamus : Préface à César (1555) Couillard : Propheties (1556)
[1] TON TARD advenement CESAR NOSTRADAME mon filz, m'a faict mettre mon long temps par continuelles vigilations nocturnes reserer par escript, toy delaisser memoire, apres la corporelle extinction de ton progeniteur, au commun profit des humains, de ce que la Divine essence par Astronomiques revolutions m'ont donné congnoissance. "par ymaginatifves resolutions & vigilations nocturnes" (III, f.D4r)
"mes assertions & predictions congneues par revolutions continuelles vigilations nocturnes & revelations inspirées" (III, f.E2r)
"vigilations nocturnes" (III, f.E3r)
"j'ay toutesfois bonne affection laisser par estat avant la corporelle extinction, mes inscrutables secretz" (III, f.D4v)
"mes temps & labeurs ja passez pour le proffict commun des humains" (III, f.E1v)
[2] Et depuis qu'il a pleu au Dieu immortel que tu ne soys venu en naturelle lumiere dans ceste terrene plaige, & ne veulx dire tes ans qui ne sont encores accompaignés, mais tes moys Martiaulx incapables à recepvoir dans ton debile entendement ce que je seray contrainct apres mes jours definer : "Non seulement pour servir à Martial mon filz, l'aage duquel ne te veux celer, comme nostre maistre Nostradamus grand philosophe et prophete, veult en son epistre tant espoventable taire les ans de Cesar son filz." (III, f.D4v)
[3] veu qu'il n'est possible te laisser par escript ce que seroit par l'injure du temps obliteré : car la parolle hereditaire de l'occulte prediction sera dans mon estomach intercluse "seroient totalement mis en tenebres, obliterez" (III, f.E1v)
"les occultes predictions demourer dans mon estomach intercluses." (III, f.E1v)
[4] consyderant aussi les adventures de l'humain definement estre incertaines : & que le tout est regi & guberné par la puissance de Dieu inextimable, nous inspirant non par bacchante fureur, ne par lymphatique mouvement, mais par astronomiques assertions, Soli numine divino afflati praesagiunt, & spiritu prophetico particularia. "non par bacchante fureur, ne par limphaticque mouvement" (III, f.E1v)
"par astronomicques assertions" (III, f.E1r)
[5] Combien que de longs temps par plusieurs foys j'aye predict long temps au-paravant ce que depuis est advenu & en particulieres regions, attribuant le tout estre faict par la vertu & inspiration divine & aultres felices & sinistres adventures de accelerée promptitude prenoncées, que despuis sont advenues par les climats du monde, "j'ay souventesfoys predict, voire long temps paravant, ce que depuis est advenu en particulieres regions" (III, f.E1v)
"accellerée promptitude prononcees" (III, f.E2r)
[6] aiant voulu taire & delaissé pour cause de l'injure, & non tant seulement du temps present, mais aussi de la plus grande part du futur, de metre par escrit, pource que les regnes sectes & religions feront changes si opposites, voyre au respect du present diametralement, que si je venoys à reserer ce que à l'advenir sera, ceux de regne, secte, religion, & foy trouveroient si mal accordant a leur fantasie auriculaire, qu'ilz viendroient à damner ce que par les siecles advenir on congnoistra estre veu & apperceu : "si je venois à reserer ce que j'entendois avoir ymaginé par l'esprit de vaticination qui veoyt les futurs advenemens & causes loingtaines" (III, f.E1r)
"les regnes, sectes, & religions feront changes si opposites, voire au respect du present diametralement, que j'ay grand paour que le pauvre populaire qui par trop legerement s'accorde, donne & preste son consentement en toutes noz prognostications abusives & broilles, vienne à damner ce que par les siecles advenir on cognoistra estre veu & apperceu."  (IV, f.G1r)
[7] Consyderant aussi la sentence du vray Sauveur, Nolite sanctum dare canibus, nec mittatis margaritas ante porcos ne conculcent pedibus & conversi dirumpant vos. Qui à esté la cause de faire retirer ma langue au populaire, & la plume au papier : "Et aussi differe deslier ma langue au populaire, Car je considere que ce seroit donné la chose saincte aux chiens & mettre les marguerites devant les porcz" (III, f.E1r)
[8] puis me suis voulu extendre declarant pour le commun advenement par obstruses & perplexes sentences les causes futures, mesmes les plus urgentes, & celles que j'ay apperceu, quelque humaine mutation que advienne scandalizer l'auriculaire fragilité, & le tout escrit sous figure nubileuse, plus que du tout prophetique : "Ne parler par amphibologies obstrusement, profondement & par figure nubileuse perplexes sentences" (III, f.E1r)
"soubz figures nubileuses & perplexes sentences" (III, f.E2r)
"O qu'il me fasche, de scandaliser l'auriculaire fragilité, & de reveler sans craincte d'invereconde loquacité, ce qui est advenir." (IV, f.G1r)
[9] combien que, Abscondisti haec à sapientibus, & prudentibus, id est potentibus & regibus, & enucleasti ea exiguis & tenuibus, & aux Prophetes : par le moyen de Dieu immortel, & des bons anges ont receu l'esprit de vaticination, par lequel ilz voyent les causes loingtaines, & viennent à prevoyr les futurs advenementz, car rien ne se peult parachever sans luy, ausquelz si grande est la puissance & la bonté aux subjectz que pendant qu'ilz demeurent en eulx, toutesfois aux aultres effectz subjectz pour la similitude de la cause du bon genius, celle challeur & puissance vaticinatrice s'approche de nous : comme il nous advient des rayons du soleil, qui se viennent getants leur influence aux corps elementeres, & non elementeres. "par l'esprit de vaticination qui veoyt les futurs advenemens & causes loingtaines" (III, f.E1r)
"par pure & certaine chaleur de verité, & puissance vaticinatrice, qui s'est approchée de nous" (IV, f.G1v)
[10] Quant à nous qui sommes humains ne pouvons rien de nostre naturelle cognoissance, & inclination d'engin congnoistre des secretz obstruses de Dieu le createur, Quia non est nostrum noscere tempora, nec momenta & c. "Mais si de plusieurs de mes propheties il en advient quelqu'une, attribue le tout estre faict à vertu & inspiration divine : car (comme dict nostre maistre Nostradamus) Nous qui sommes humains ne pouvons rien de nostre naturelle congnoissance & // inclination d'engin, congnoistre des secretz obstruses de Dieu le createur" (III, f.E4r-v)
[11] Combien que aussi de present peuvent advenir & estre personnaiges que Dieu le createur aye voulu reveler par imaginatives impressions, quelques secretz de l'advenir accordés à l'astrologie judicielle, comme du passé, que certaine puissance & voluntaire faculté venoit par eulx, comme flambe de feu apparoir, que luy inspirant on venoit à juger les divines & humaines inspirations. Car les oeuvres divines, que totalement sont absoluës, Dieu les vient parachever : la moyenne qui est au millieu, les anges : la troisiesme, les mauvais. "revelées par ymaginatives impressions" (III, f.E2r)
"estant ainsi saisy & plain de fantasticques & inutilles ruminations, que j'ay pensé en moy mesme estre accordées à l'astrologie judicielle" (III, f.E1v)
[12] Mais mon filz je te parle icy un peu trop obstrusement : mais quant aux occultes vaticinations que l'on vient à recevoyr par le subtil esperit du feu qui quelque foys par l'entendement agité contemplant le plus hault des astres, comme estant vigilant, mesmes que aux prononciations estant surprins escrits prononceant sans crainte moins atainct d'inverecunde loquacité : mais quoy ? tout procedoit de la puissance divine du grand Dieu eternel, de qui toute bonté procede. "j'entendz quant à deviner par ocultes vaticinations, qu'aucuns dient que l'on vient à recevoir par le subtil esprit du feu, & non pas du cours naturel, & autres intelligences des spheres qui sont louables & communes entre les philosophes" (II, f.D1r)
 "j'avois l'entendement agité pour prophetiser quelques resveries. Non par contempler le plus hault des astres" (II, f.C4v)
[15] Car les secretz de Dieu sont incomprehensibles, & la vertu effectrice contingent de longue estendue de la congnoissance naturelle prenent leur plus prochain origine du liberal arbitre, faict aparoir les causes que d'elles mesmes ne peuvent aquerir celle notice pour estre cognuës ne par les humains augures, ne par aultre cognoissance ou vertu occulte comprinse soubz la concavité du ciel, mesmes du faict present de la totale eternité que vient en soy embrasser tout le temps. Mais moiennant quelque indivisible eternité par comitiale agitation Hiraclienne, les causes par le celeste mouvement sont congnuës. "la notice des choses futures, ne pouvoir, comme je doubte fort, estre congneues par les humains augures, ne par aultre congnoissance, ou vertu occulte, que les philosophes, autres que moy qui n'y entendz rien, veulent comprendre soubz la concavité du ciel" (II, f.D1r)
[16] Je ne dis pas mon filz, affin que bien l'entendes, que la cognoissance de ceste matiere ne se peult encores imprimer dans ton debile cerveau, que les causes futures bien loingtaines ne soient à la cognoissance de la creature raisonable : si sont nonobstant bonement la creature de l'ame intellectuelle des causes presentes loingtaines, ne luy sont du tout ne trop occultes ne trop reserées : "j'imprimeray si bien un millier de ses autres folies (bien toutesfois entremeslées d'assez sages propos) que mon debile cerveau en a depuis eu fort à souffrir" (I, f.B2r)
[17] mais la parfaite des causes notice ne se peult aquerir sans celle divine inspiration : veu que toute inspiration prophetique reçoit prenant son principal principe movant de Dieu le createur, puis de l'heur, & de nature. Parquoy estans les causes indifferantes, indifferentement produictes, & non produictes, le presaige partie advient, ou à esté predit. "toute inspiration propheticque recevoit de Dieu son principal mouvement & principe" (II, f.D3r)
[18] Car l'entendement creé intellectuellement ne peult voir occultement, sinon par la voix faicte au lymbe moyennant la exigue flamme en quelle partie les causes futures se viendront à incliner. "Vray est que noz nouveaux prophetes dient & veulent soustenir que l'entendement crée intellectuellement ne peult veoyr occultement, mais bien que par la voix faicte au limbe, moyennant, la flamme exigue, ilz peuvent voyr en quelle partie les causes futures viendront à incliner." (III, f.E1v)
[23] Mais quant au jugement qui se vient parachever moyennant le jugement celeste cela te veulx je manifester : parquoy avoir congnoissance des causes futures rejectant loing les fantastiques imaginations qui adviendront, limitant la particularité des lieux par divine inspiration supernaturelle accordant aux celestes figures, les lieux, & une partie du temps de proprieté occulte par vertu, puissance & faculté divine : en presence de laquelle les troys temps sont comprins par eternité, revolution tenant à la cause passée, presente, & future : quia omnia sunt nuda & aperta & c. "ymaginations fantasticques" (III, f.E1r)
[25] non que je me vueille attribuer nomination ni effect prophetique, mais par revelée inspiration, comme homme mortel esloigné non moins de sens au ciel, que des piedz en terre, Possum non errare, falli, decipi : suis pecheur plus grand que nul de ce monde, subject à toutes humaines afflictions. "Non que pour cela je me vueille attribuer nomination ny effect prophetique" (III, f.E2r)
[26] Mais estant surprins par foys la sepmaine lymphatiquant, & par longue calculation rendant les estudes nocturnes de souefve odeur, j'ay composé livres de propheties contenant chascun cent quatrains astronomiques de propheties, lesquelles j'ay un peu voulu raboter obscurement : & sont perpetuelles vaticinations, pour d'yci a l'an 3797. "car l'on scayt assez que par limphaticquer ne par longue calculation & estudes nocturnes, les hommes ne peuvent rien de certain prophetiser" (III, f.E3r)
"Non pas que j'entende & veille [sic] parler de perpetuelles vaticinations pour d'ici à l'an 3797." (III, f.D4v)
[27] Que possible fera retirer le front à quelques uns en voyant si longue extension, & par souz toute la concavité de la lune aura lieu & intelligence : & ce entendent universellement par toute la terre, les causes mon filz. Que si tu vis l'aage naturel & humain, tu verras devers ton climat au propre ciel de ta nativité les futures avantures prevoyr. "& qui paradventure feront rougir le front à quelques uns, qui ne seront pas si melencolicques que moy." (III, f.E1r)
"Je n'entendz aussi extendre mes revelations jusques soubz la concavité de la lune" (III, f.E1r)
[28] Combien que le seul Dieu eternel, soit celuy seul qui congnoit l'eternité de sa lumiere, procedant de luy mesmes : & je dis franchement que à ceux à qui sa magnitude immense, qui est sans mesure & incomprehensible, ha voulu par longue inspiration melancholique reveler, que moyennant icelle cause occulte manifestée divinement, principalement de deux causes principales qui sont comprinses à l'entendement de celui inspiré qui prophetise, l'une est que vient à infuser, esclarcissant la lumiere supernaturelle au personnage qui predit par la doctrine des astres, & prophetise par inspirée revelation : laquelle est une certe participation de la divine eternité : moyennant le prophete vient à juger de cela que son divin esperit luy ha donné par le moyen de Dieu le createur, & par une naturelle instigation : "par naturelle instigation & inspiration melencolicque preveues" (III, f.E1r)
[29] c'est assavoir que ce que predict, est vray, & a prins son origine etheréement : & telle lumiere & flambe exigue est de toute efficace, & de telle altitude : non moins que la naturelle clarté & naturelle lumiere rend les philosophes si asseurés que moyennant les principes de la premiere cause ont attainct à plus profondes abysmes de plus haute doctrine. "Car je scay bien & chascun le scayt que les choses vrayes & bien dictes, ont pris leur origine, & hereement & en lumiere & flambe altitude exigue & pleine de toute clarté & efficace." (III, f.E3v)
[33] Et maintenant que sommes conduicts par la lune, moyennant la totale puissance de Dieu eternel, que avant qu'elle aye parachevé son total circuit, le soleil viendra, & puis Saturne. Car selon les signes celestes le regne de Saturne sera de retour, que le tout calculé, le monde s'approche, d'une anaragonique revolution : "puisque noz nouveaux prophetes nous menassent que le monde s'aproche d'une anaragonicque revolution, & qu'il perira si tost" (III, f.D4v)
[36] combien que par ambigues opinions excedants toutes raisons naturelles par songes Machometiques, aussi aucune fois Dieu le createur par les ministres de ses messagiers de feu en flamme missive vient à proposer aux sens exterieurs, mesmement à nos yeulx, les causes de future prediction significatrices du cas futur, qui se doibt à cellui qui presaige manifester. "il n'est pas impossible à Dieu qui est tout puissant de nous proposer & par ses ministres ou messaigers, soit en feu ou flamme faire apparoir à noz sens exterieurs, les causes significatives du cas futur" (III, f.E3v)
[37] Car le presaige qui se faict de la lumiere exterieure vient infalliblement à juger partie avecques & moyennant le lume exterieur : combien vrayement que la partie qui semble avoir par l'oeil de l'entendement, ce que n'est par la lesion du sens imaginatif : la raison est par trop evidente, le tout estre predict par afflation de divinité, & par le moyen de l'esprit angelique inspiré à l'homme prophetisant, rendant oinctes de vaticinations, le venant à illuminer, luy esmouvant le devant de la phantasie par diverses nocturnes aparitions, que par diurne certitude prophetise par administration astronomicque, conjoincte de la sanctissime future prediction, ne consistant ailleurs que au courage libre. "ne aussi qu'iceluy cas qui se faict de la lumiere exterieure ne vienne à juger, qu'apres l'esclair soubdain vient le tonnoire" (III, f.E3v)
"la sanctissime action des vaticinations, esquelles noz maistres dient que l'esprit angelicque vient à illuminer & esmouvoir le devant de la fantaisie de l'homme par diverses & nocturnes apparitions" (III, f.E3v)
[40] Alors par plusieurs foys durant les sinistres tempestes, Conteram ergo dira le Seigneur, & confringam, & non miserebor : & mille autres avantures qui aviendront par eaux & continuelles pluies, comme plus à plain j'ay redigé par escript aux miennes autres propheties qui sont composées tout au long, in soluta oratione, limitant les lieux, temps, & le terme prefix que les humains apres venus, verront cognoissants les aventures avenues infalliblement, comme avons noté par les autres, parlans plus clairement : nonobstant que sous nuée seront comprinses les intelligences : sed quando submovenda erit ignorantia, le cas sera plus esclarci. "et que soubz nue feussent comprises mes intelligences, on ne me pourroit pas aisement reprendre" (III, f.E2v)

  On notera que le terme "prenoncées" (Préface à César, 5), est lu "prononcees" par Couillard, comme par le correcteur ou l'imprimeur des éditions de 1557, lesquels en ignoraient probablement le sens.
Couillard vivait dans son domaine du Pavillon situé près de Lorris en Gâtinais. Juriste de formation, spécialiste du droit coutumier, il a fait paraître en 1543 un ouvrage destiné aux greffiers des tribunaux. Il mentionne son maître Griveau, et les avocats du roi Aligret et Monthenon (f.B2v). On ne connaît pas ses dates de naissance et de décès. Il serait de la même génération que Nostradamus : né vers 1505 et décédé vers 1575. A la parution des Prophéties, il n'est plus tout jeune ("de mon temps", f.B3r) ; il annonce en 1573, dans son dernier ouvrage imprimé connu (cf. infra : bibliographie complémentaire), d'autres traités à venir dont on ne connaît aucune édition.
[Un compatriote et collègue de Couillard, un certain Jean de Vernoy, "prevost de Lorriz", avait fait publier en 1554 chez le même libraire parisien, un Epitome du droict civil (Paris, Thierry & Antoine le Clerc), ouvrage signalé par Du Verdier (p.760).]
L'idée de parodier les Prophéties lui serait venue dans un cabaret d'Orléans, au cours d'une discussion animée et arrosée avec quelques collègues. La mise en scène se poursuit à Paris lors d'une consultation juridique réunissant "une demye douzaine des plus fameux advocatz", dans laquelle il est demandé "si ceste façon de predire estoit permise ou non" (celle de Nostradamus), "la matiere disputée à fons de cuve" (f.B2v) -- le lecteur de Rabelais (mentionné au f.++4r de ses Contredicts) entendant rester dans un registre égrillard et cocasse : "il me souvient aussi qu'en l'an mil cinq cens trente les nouvelles vindrent à Paris qu'a [sic] Rome (les bredasches laissez) les cortisannes avoient tant esté besongnées, qu'il y avoit eu si grand deluge, que les eaues estoient creües de la haulteur d'une lance." (f.E3r. Cf. aussi dans la même veine les folios E2v et G1r).
Ainsi caricature-t-il malicieusement certains passages de la préface à César :
  • "ce que predict, est vray, & a prins son origine etheréement" (Préface à César, 29)
  • "Car je scay bien & chascun le scayt que les choses vrayes & bien dictes, ont pris leur origine, & hereement" (f.E3v)
  • "sous nuée seront comprinses les intelligences" (Préface à César, 40)
  • "soubz nue feussent comprises mes intelligences" (f.E2v)
    [Le jeu de mots n'est pas assuré car Couillard écrit encore "nue" pour "nuée" aux ff. F3v-4r de ses Contredicts.]
  • "aye voulu reveler par imaginatives impressions, quelques secretz de l'advenir accordés à l'astrologie judicielle" (Préface à César, 11)
  • "estant ainsi saisy & plain de fantasticques & inutilles ruminations, que j'ay pensé en moy mesme estre accordées à l'astrologie judicielle" (f.E1v)
  • "la cognoissance de ceste matiere ne se peult encores imprimer dans ton debile cerveau" (Préface à César, 16)
  • "j'imprimeray si bien un millier de ses autres folies que mon debile cerveau en a depuis eu fort à souffrir" (f.B2r)
  • etc

 
Couillard, Propheties, Le Clerc, 1556, f.E1r Couillard, Propheties, Le Clerc, 1556, f.E1v Couillard, Propheties, Le Clerc, 1556, f.E2r Couillard, Propheties, Le Clerc, 1556, f.E2v

Les deux principaux procédés utilisés sont l'inversion des prédicats dans la proposition, et la contiguïté absurde des termes, comme dans l'expression "par naturelle instigation & inspiration melencolicque preveues" (f.E1r).
Couillard, qui se satisfait de son patronyme et déclare en décliner les vertus avec succès auprès des femmes (f.D2r-v), achève ses propres Prophéties sur un registre qui rappelle la Pantagrueline prognostication de Rabelais : "Beaucoup d'yvrongnes faulx tesmoings" (f.F2v), "Plus de jours ouvriers que de festes" (f.F3r), "Plus de mois que d'ans. Plus de sepmaines que de mois. Plus de jours que de sepmaines" (f.F3r), "L'oye du Roy mangée, la plume avant cent ans chiée." (f.F4v), etc -- des "lapalissades désopilantes" selon Olivier Millet (1987, p.109) !
Ce n'est pas méchant, et ça ne va pas bien loin, à l'instar de l'idée principale de l'auteur, à savoir que Dieu seul peut connaître les choses futures, et qu'il est présomptueux de "se vouloir mesler de deviner les choses incertaines, & futures, totalement reservees à la cognoissance de la divine & supernelle majesté" (f.B4r). A ce poncif de la théologie en lutte contre l'astrologie (à laquelle Couillard admet ne rien entendre : "je me congnois autant aux estoilles qu'en coquesigrues marines", f.C4v), Bonatus répondait dans son Liber astronomicus (1e éd. Augsburg, 1491) que les astrologues en savaient davantage sur l'astronomie que les théologiens sur la connaissance de Dieu, et qu'ils étaient par conséquent plus en mesure de juger que les théologiens de prêcher. (cf. mon "Manifeste pour l'astrologie", CURA, 1999).
 
Trois ou quatre cens carmes de diverses tenebrositez
Couillard qui signe d'une anagramme assez terne ("ON T'A CI RENDV LOIAL" aux ff. D2r, D2v, D4r, G2r et H1v, ou "ON T'A CY RENDV LOYAL" en C1r et E4v), entend combattre les "nouvelles propheties & prognostications publiées par nostre France" (f.A4r), ou encore "les propheties des nouveaux prophetes" (f.G3r), à commencer par celles de Nostradamus -- les seules "anciennes" qu'il semble connaître étant le Calendrier des bergers et la Pronostication des laboureurs (mentionnés en E2r). [Jacques Brunet signale plusieurs éditions de ce texte : La grande Prognostication des laboureurs durant a tout jamais (Paris, sd, lettres gothiques), la Prognostication des laboureulx a toujours durant (Lyon, maison de feu Barnabe Chaussard, 1542, lettres gothiques), et La Pronostication des laboureurs (Lyon, James Munier, sd, in-8, 4 ff., lettres rondes). (Brunet 4, 1863, c.901, et 8, 1880, c.310)].
A cette fin, il raconte qu'il se trouvait autour du 5 novembre 1555 (jour des Nones au calendrier romain), peut-être le 3 qui était un dimanche, "environ le jour qu'on taste les vins (...) non pas au sermon, mais au cabaret de l'huis de fer à Orleans" (f.A4v). Et là, il entend "un Porte panier qui crioit par les rues Propheties à vendre" (f.B1r). On fait entrer le colporteur opportun qui présente ses opuscules : "Les unes composées partie en prose, & autre partie en carmes tenebreux & obscurs, & les autres estoient Pronostications, aisées à entendre & claires comme le beau jour du midi." (f.B1r). Il ajoute : "Car de six qui furent recolées, collationnées & confrontées les unes aux autres, faictes par divers Mathematiciens, furent trouvées toutes semblables, sans y avoir faulte d'un seul mot, sauf que les tiltres d'icelles intituloyent divers autheurs (...) si telles pronostications se feussent seulement trouvées quelque peu differentes, elles n'eussent pas esté de la centiesme partie si espouventables que les pretendues propheties" (ff.B1r-v).
Cette dernière observation pose problème, à supposer qu'elle soit à prendre au pied de la lettre : on ignore quelle est cette pronostication quasi identique circulant sous les noms d'une demi-douzaine d'auteurs différents, et si la Pronostication pour l'an 1556 de Nostradamus figurait parmi le lot. C'est possible, car on sait que ce texte perdu était bâclé et d'un abord plus accessible que ses autres publications, encore qu'on ne puisse prétendre qu'il soit clair "comme le beau jour du midi" (cf. CURA, CORPUS NOSTRADAMUS 36). Ce qui attesterait que dès 1555 ces opuscules, et à plus forte raison les publications annuelles de Nostradamus, circulaient sous forme d'éditions piratées.
En revanche, les "espouventables propheties", "composées partie en prose, & autre partie en carmes tenebreux & obscurs" sont bien évidemment les célèbres Prophéties, parues en mai 1555, et comprenant 353 quatrains précédés d'une préface, laquelle Couillard se propose de pasticher. Plus loin il précise que pour compléter son traité, il eut "tout d'une arsée & avec labeur merveilleuz faict trois ou quatre cens carmes de diverses tenebrositez" (f.E2v). Ces trois ou quatre cens "carmes" attestent de la parution des 353 quatrains accompagnant la préface à César dans la première édition de 1555 (cf. CURA, CORPUS NOSTRADAMUS 26). On employait indifféremment le terme "carme" (du latin carmen) pour le vers (cf. f.B2r), le distique (cf. f.C3v), le quatrain ou la pièce versifiée en son entier. Couillard ajoute que ces carmes réclament une interprétation : "Car il me seroit fort aisé d'interpreter à mon advantage tant de dictions fabuleuses" (f.E2v). Le pasticheur n'a pas poussé l'exercice jusqu'aux quatrains versifiés. Des imitateurs s'y essayeront, de Crespin Archidamus et Jean Maria Coloni dans les années 70, à un François Crouzet en 1973 : ils en seront pour leurs frais.
Au final, le témoignage de Couillard, qui aura surmonté l'anonymat en raison de son attachement au célèbre ouvrage de Nostradamus, telle une tique guillerette piquée à sa peau, s'avère relativement utile pour les études nostradamiennes. On lira son traité avec humour. Nostradamus n'en manquait pas, et je ne crois pas qu'il ait voulu compter le seigneur du Pavillon parmi les bêtes brutes mentionnées dans ses publications ultérieures.
 
Bibliographie complémentaire de Couillard
Instruction et exercices des Greffiers
Paris, Jean Longis, 1543, in-8
réédité sous le titre :
Les Procédures civiles et criminelles
Paris, Jean Longis, 1549, in-8
Paris, Vincent Sertenas, 1549, in-8
(réimprimé plusieurs fois : Vincent Sertenas 1560, Benoist Rigaud 1571, etc)
Les fleurs odoriferantes
Paris, Loys Begat, 1549, in-8
(mentionné par Du verdier, 1585, p.61)
Les antiquitez et singularitez du monde
(publié par J. Moireau de Lorriz selon catalogue BnF, vol. 33, 1908)
Paris, Jean Dallier, 1557, in-8
Paris, Antoine Le Clerc, 1557, in-8
Lyon, Benoist Rigaud, 1578, in-16
Les Contredicts aux faulses & abbusifves propheties de Nostradamus, & autres astrologues
Paris, Charles l'Angelier, 1560, in-8
(une prochaine étude sera consacrée à cet ouvrage)
La Bienvenue de très haulte, très illustre et très excellente princesse, ma dame Renée de France
Paris, Annet Brière, 1561, in-8, 8 ff.
Epistre presentee au Tres excellent & invincible Roy de Pologne, filz & frere des Roys de France, à sa bien venue à Paris
(par le sieur de Pavillon pres Lorriz)
Lyon, Benoist Rigaud, 1573, in-8, 10 ff.
Paris, Guillaume de Nyverd, [1573], in-8, 12 ff.
Couillard, Les antiquitez et singularitez du monde, Dallier, 1557

 
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